mercredi 5 octobre 2011

Présumé Coupable



Pas de metal, aujourd'hui. Après tout il n'y a pas que la musique dans la vie… Il est temps pour moi de vous révéler une autre facette de ma personne, à savoir, la facette juridique. Et oui, Maggot fait du droit (c'est d'ailleurs à cause desdites études en droit que ladite Maggot n'a pas trop le temps d'alimenter comme il se doit le présent blog)…

Mon objectif du week-end, il y a deux semaines, était de réussir à aller au ciné pour voir Présumé Coupable. Je tiens d'ores et déjà à remercier mon cher et tendre qui m'a permis de réaliser cet objectif avant prescription (traduction: avant que le film ne cesse de passer dans les salles obscures).

Si vous suivez un peu les sorties ciné, vous devriez donc déjà savoir que ce film raconte l'affaire Outreau vu par Maître Marécaux, huissier de justice, accusé de viols sur mineur etc, dans le cadre de l'affaire susnommée, finalement relaxé par la Cour d'assises de Paris, après avoir été jugé coupable par la Cour d'assises de Douai...

En tant qu'étudiante en droit ayant un gros penchant pour le droit pénal, forcément, je me "devais" d'aller voir ce film. Je me doute que ceux qui vivent ça en permanence (policiers, magistrats, avocats pénalistes ou pénaleux, etc) n'iront pas forcément le voir... et j'avoue que pour certains, c’est bien dommage, car notamment pour les étudiants en droit pénal, ce film est riche d'enseignements.

De plus, n'importe quel quidam, qui globalement ignore tout de la procédure pénale, de "comment ça se passe quand ça t'arrive à toi" devrait voir ce film. Pourquoi?

  1. Parce que quand on voit comment la garde à vue réduit un homme à néant en quelques heures, ça parle beaucoup plus que de jolis discours et que le commun des mortels, qui pense que si les avocats veulent être là systématiquement à chaque garde à vue ce n'est que pour le fric, devrait s'imaginer un seul instant à cette place là: menotté à cette chaise, soupçonné (accusé?) des pires choses, en étant innocent (je reviendrai un peu plus loin sur cet aspect).
  2. Parce qu'Outreau a fait couler beaucoup d'encre, parler beaucoup de gens, mais la réalité, c'est quoi? La réalité, c'est ça : des vies brisées, irrémédiablement brisées. Et là, je ne parle pas seulement des condamnés finalement relaxés, mais aussi de leurs familles, de leurs enfants, et du dernier auquel on pourrait penser, qui porte la mention de "coupable" écrite en gros sur son front: le Juge Burgaud… Mais coupable de quoi, au juste? Est-ce lui ou le système, qui est condamnable? J'y reviendrai également.
  3. Mon prof de droit pénal (ou ex- prof puisque j'ai été diplômée et que maintenant, j'ai d'autres profs), disait, à propos d'Outreau que, finalement, c'était "rassurant" car les soupapes de sécurité de la justice ont fonctionné. Et oui, parce que sinon, la Cour d'assises d'appel puis vraisemblablement la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation auraient confirmé les condamnations de première instance! Certes, il est rassurant de voir qu'in fine, la vérité a triomphé… Mais à quel prix?

Mais d'abord, un petit mot sur le film lui-même…

Le casting: juste pour la petite histoire, je vous laisse observer ce reportage de France 3 sur les audiences menées par la Commission Parlementaire:


Vous les avez bien vu? Et bien, maintenant, comparaison:
Alain Marécaux, joué par Philippe Torreton

le Juge Burgaud, joué par Rafaël Ferret

Si on estime qu'un bon casting dans une adaptation d'histoire vraie est un casting ressemblant, alors ce film tape dans le mille.

Si on estime que peu importe la ressemblance, c'est le jeu de l'acteur qui compte, et bien là aussi, ce film tape dans le mille.

Philippe Torreton est inoubliable dans ce rôle qu'il incarne parfaitement. Tout au long de son calvaire, on souffre pour lui, il est criant de vérité, de sincérité.

Rafaël Ferret est impeccable dans le rôle de jeune premier tout propret et imbu de sa personne qu'on a envie de baffer. Réellement, on a envie de le baffer.



L'avocat de Marécaux, joué par Wladimir Yordanoff, apparaît comme un homme juste, dévoué à son client, et donne une très bonne image de l'avocat pénal, tant dans son humanité envers son client que par son désarroi face à une machine judiciaire qui, tout en restant dans les rails, détruit tout sur son passage.

Un dernier mot, enfin, côté bande sonore : je ne me rappelle pas avoir entendu une quelconque musique pendant tout le film, ce qui lui donne une dimension particulièrement vraie, vécue, réelle. En "générique de fin", clôture intense en émotion, on entend la prestation de serment de Me Marécaux, réinstallé dans ses fonctions d'huissier. Je trouve cette façon de terminer le film particulièrement prenante, touchante, très bien pensée.

Beaucoup de scènes m'ont semblées particulièrement violentes humainement, comme par exemple le débarquement de la police chez les Marécaux au début, l'état d'Alain Marécaux après sa grève de la faim ou ses tentatives de suicide… Bref, oui, c'est un film dur, mais du genre "dur qu'il faut voir".


Les petites choses sur lesquelles je voulais revenir…

Pour une fois, je vais polémiquer. Pas directement sur le film, mais quand même. Comme certains le savent, au début de l'été 2010, le Conseil Constitutionnel a décidé que la procédure de garde à vue, telle qu'elle est montrée dans le film, n'était pas conforme à la constitution du fait de l'absence de l'avocat pendant les interrogatoires de garde à vue. Dans sa grande mansuétude, ledit conseil avait donné au gouvernement français un an pour réviser cette procédure (je vous passe les détails des hésitations de la Cour de Cassation sur l'attitude à tenir face aux gardes à vue menées pendant la période transitoire…).

Beaucoup d'encre a coulé, tant sur la réforme que sur son application concrète… Constamment, on a entendu des discours du type que les méchants avocats avaient trouvé le filon pour se faire plein de fric, que l'appât du gain était tout ce qui les attirait et que par ailleurs, tout cela c'était bien joli, mais que le taux d'élucidation allait gravement chuter parce que les avocats seraient là et que donc les "clients" n'avoueraient plus… Plus récemment, il s'est avéré qu'effectivement, le taux d'élucidation était en baisse (question : combien d'innocents ont pu ainsi retrouver plus facilement la liberté?), mais le nombre de gardes à vue a également baissé, ce qui à mon sens est loin d'être un mal… Et encore plus récemment, le timbre fiscal à 35 euros obligatoire pour toute demande en justice est mis entre autres sur le dos de la réforme de la garde à vue (puisque l'avocat commis d'office est payé par l'aide juridictionnelle et que le timbre va servir notamment à augmenter le budget de cette dernière), et c'est encore la faute des méchants avocats qui se sont battus pour pouvoir défendre leurs délinquants de clients…

Mais finalement, tous ces discours, ces acharnements trouvent à mes yeux l'image concrète de ce qu'était la garde à vue avant la réforme, dans Présumé Coupable. Tout tient là. Il suffit de regarder la garde à vue à l'ancienne et de "comparer" avec la garde à vue version américaine (de n'importe quelle série policière de la même nationalité, même si ce n'est pas encore tout à fait comparable, puisque l'avocat français n'a pas accès à l’intégralité du dossier et que s'il a le droit de poser des questions pendant les interrogatoires, il n'est apparemment pas très apprécié que l'avocat l'ouvre). Bienvenus dans la réalité d'Alain Marécaux, innocent, en garde à vue ancienne version. Ce n'est certainement pas le but de ce film, mais tout cette scène, relativement longue et pénible, est pour moi tellement plus claire que le discours relayé par les médias !

Pour finir, sur le sujet, et si certains ont encore des doutes sur la nécessité, dans une démocratie comme la nôtre, d'aménagement d'une mesure privative de liberté (oui, d'accord, c'est "seulement" 24 heures renouvelable une fois pour le droit commun… mais 24-48 heures, c'est long. TRES long, surtout quand on est innocent...), je vous invite d'une part à regarder les plaidoiries qui se sont tenues devant le Conseil Constitutionnel en 2010 (ces plaidoiries sont vraiment un GRAND moment d'histoire du droit http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/videos/decisions/2010/affaires-n-2010-14-qpc-et-n-2010-22-qpc-1ere-partie.48720.html et http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/videos/decisions/2010/affaires-n-2010-14-qpc-et-n-2010-22-qpc-2eme-partie.48721.html), et d'autre part à errer sur les blogs de Maître Eolas (http://www.maitre-eolas.fr/) et Maître Mô (http://maitremo.fr/), qui ont tous les deux énormément de choses à dire sur le sujet (et sur plein d’autres d’ailleurs). C'est normal, ce sont des avocats de droit pénal. En plus, eux, citent tous les articles qui vont bien, les liens légifrance et tout et tout. Moi, là, je fais une parenthèse dans une critique de film, z'etes grands, débrouillez-vous.

Bref, tout ça pour dire que les timbres à 35 euros, c'est horriblement cher, c'est totalement injuste, c'est même "petit" je dirai, mais si la méthode (forcer le justiciable lambda à payer 35 euros pour faire reconnaître ses droits) est particulièrement naze, rien ne m'énerve plus que d'entendre que c'est à cause de la réforme de la garde à vue. Parce que cette réforme, il était plus que temps de la faire…

Le deuxième point que je souhaitais soulever, c'est celui du personnage du Juge Burgaud. C'est peut-être finalement le seul hic qui m'a légèrement chagriné dans ce film. Tout cela est extrêmement partial… En même temps, c'est normal, puisque c'est tiré de la biographie d'Alain Marécaux. Mais c'en est presque de la caricature (et par ailleurs, le personnage de Myriam Badaoui est également caricatural)… Et finalement, c'est dommage. Là tout de suite, je vous avouerai que j'adorerai disposer des procès-verbaux des interrogatoires et confrontations qu'on voit dans le film, histoire de voir si au moins dans les mots, tout a vraiment été dit comme ça.

Du coup, par un besoin de rétablir la balance, ne serait-ce qu'un tout petit peu, je me suis tapée à peu près 300 pages du rapport parlementaire sur Outreau. Oui, je sais, je suis maso. Halte là, me diront ceux qui le connaissent, ledit rapport en contient 650! Oui, d'accord, mais les réformes proposées ne m'intéressaient pas des masses d'autant plus que vu l'ancienneté du rapport, il y a trois solutions:
-        soit elles sont passées et donc je les ai apprises en cours, et dans ce cas, deux solutions:
o        soit elles se sont montrées efficaces et tout le monde est content
o        soit au contraire, c'étaient de fausses bonnes idées qui ne changent rien au schmilblick et tout le monde râle à ce sujet (je pense notamment à la carte judiciaire…).
-        soit elles ont été jetées à la trappe et ressortiront un jour,
-        soit elles sont mortes de leur belle mort. Amen.

Sur les dérives d'Outreau (donc les 300 premières pages), il faut avouer que finalement, Burgaud a peut-être manqué d'impartialité, mais qu'il n'avait pas vraiment été aidé. Tout y est passé, l'absence de magistrat plus ancien pour l'aider dans ce dossier énormissime et dépassant vraisemblablement les compétences d'un juge d'instruction débutant, la trop grande proximité (promiscuité?) avec le Procureur, les services sociaux hyper mal coordonnés, la manière assez partiale et orientée avec laquelle la parole de l'enfant a été reçue… Bref. Un conseil, vous avez 300 pages à perdre? Lisez-le, c'est riche d'instruction sur comment un "bon" système peut totalement merder tout en restant dans ses propres rails.

Ah si, un dernier mot, dans la scène où le Juge Burgaud est "accusé" d'avoir eu beaucoup trop recours à la détention provisoire, je ne sais pas si les choses ont été réellement dites ainsi, mais il se défend en disant que le Juge des Libertés et de la Détention (JLD pour les intimes) avait à chaque fois donné son aval, sous-entendu qu'il avait très gentiment accepté de demander son avis audit JLD; j'ai eu envie d'hurler dans le cinéma "Mais d'façon, t'avais pas le choix!!!!!". Oui, bon, je sais, je suis tatillonne, mais je me dis, une fois encore, que le spectateur lambda ne comprendrait pas à quel point cette réplique est énorme. La cerise sur le gâteau étant que la personne qui l'interroge rétorque un truc du genre "vous vous cachez derrière les autres pour ne pas reconnaître votre responsabilité". Oui, bon, c'est vrai, Burgaud aurait pu, tout seul, décider qu'un contrôle judiciaire suffisait; mais n'empêche, il n'a rien fait de "mal" en saisissant le JLD, comme la loi l'y oblige, pour statuer ou non sur le placement en détention provisoire.

En même temps, comme dit plus haut, l'histoire est celle d'Alain Marécaux, de son point de vue à LUI. Alors forcément, lui n'est pas là pour défendre Burgaud qui, sur certains aspects, me semble être le bouc émissaire parfait, permettant à beaucoup de ne surtout pas se remettre en question.

Comme je disais au début, citant mon cher ex-prof de droit pénal, "les soupapes de sécurité judiciaires ont fonctionné". Ouaip. Ben ça aurait été pas mal si elles avaient fonctionné un peu plus rapidement, quand même. A Marécaux, ça lui a coûté pratiquement 2 ans de détention provisoire, 3 tentatives de suicides et une grève de la faim. A un autre des co-accusés, la vie, tout simplement.

Et franchement, c'est très dérangeant d'être témoin, via l'écran, de cette chute si intense. Mais ce film devait être fait. Point. Et il est bien fait, très bien fait finalement.

En réalité, ce qui est gênant, quand on est étudiant en droit et qu'on va voir un film comme ça, c'est qu'on oublie presque le film pour ne penser que "procédure", "constitutionalité", "droits de la défense" et "droits de l'homme".

En tous les cas, si toutes mes parenthèses juridiques ne vous ont pas trop fait suer, allez voir ce film, vraiment.

On en ressort grandi.

Bien à vous,
Musique écoutée pendant la rédaction de ce post: Immortal At the heart of winter; Arch Enemy Rise of the Tyrants, Taake (medley made in Youtube)

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